Le projet de la Résidence continue. Le jury a auditionné 4 équipes sur les 16 candidatures reçues. Il a apprécié la qualité des projets de résidence et des équipes candidates. Il a été particulièrement sensible à la proposition engagée et structurée d’Amor Immeuble. L’approche proposée lui a semblé pertinente tant dans son intention – s’emparer du Centre d’art par la matière, en proposer une relecture critique et participative – que dans sa méthode déjà très détaillée.
L’équipe Amor Immeuble
Depuis 2020, Amor Immeuble explore les potentialités “d’objets-ressources” mis au jour à travers la France. Un parcours de fragment en fragment, de lieu en lieu, de région en région, à la recherche de mythologies constructives.
Ce travail itinérant est né d’une fascination pour des formes singulières, les conditions de leur création et leur mise en œuvre possible. Chaque trouvaille représente l’occasion d’expérimentations architecturales situées. L’appréhension des matières et des formes associées convoque des paysages ruraux et urbains variés, stratifications complexes et hybrides. Le projet de résidence s’inscrit dans la continuité de cette démarche.
Amor Immeuble est composé de Brune Paloma, vidéaste et de Côme Rolin, Rocco Paoli, Olivier Thomas et Mathieu Volkovitch, architectes formés dans différentes écoles européennes (USI Mendrisio, Politecnico di Milano, KTH Stockholm) et diplômés de l’Ensa Paris-Belleville.
La résidence d’Amor Immeuble
Mythologies constructives
Au-delà de sa forme définitive, il est possible de regarder une architecture comme la résultante de mouvements, la somme d’éléments ayant leurs trajectoires propres. L’édifice est un point de convergence de mécanismes dont les logiques internes peuvent être mises en lumière. C’est en partant de cette hypothèse que nous souhaitons observer le Centre d’art de Vassivière, objet hybride tant dans les références qui ont motivé sa conception que dans les matériaux mis en œuvre.
Le projet du Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière mène une double existence : à la fois comme objet théorique, fragment d’une tradition autonome de l’architecture, mais aussi à travers sa matérialisation constructive.
Il est ainsi tout autant ancré dans le territoire poétique, l’imaginaire d’Aldo Rossi transposé sur le papier – qu’au sein du territoire concret de l’édifice, “incarnation” du dessin dans le paysage du lac artificiel et son aire géographique étendue, le plateau granitique de Millevaches.
C’est cette présence formelle et matérielle, à la fois dépaysante et étrangement familière, que l’on propose de décrypter.
La résidence se déroulera en deux phases. Une première analyse visera à retranscrire le récit double de l’origine : la naissance formelle de l’œuvre et son émancipation par le processus de construction. Ainsi porterons-nous successivement notre regard sur les analogies issues de l’imaginaire de l’architecte italien, la traduction des dessins poétiques aux dessins d’exécution, le déroulement du chantier et la provenance des matériaux. Puis, dans un second temps, après avoir “déconstruit” l’édifice, nous prolongerons une démarche expérimentale débutée il y a un an par Amor Immeuble autour “d’objets-ressources” appliquée cette fois au langage constructif du centre d’art de Vassivière.
Objets-ressources, une archéologie de la France construite
Dans différentes localités de France, nous avons porté notre regard sur des fragments liés à la construction, découverts sur le territoire : ce sont tantôt des éléments tombés en désuétude issus d’édifices démantelés, tantôt des « résidus » de ressources naturelles en cours de transformation ou de simples surplus de chantiers. En somme, une série d’objets en attente, porteurs d’une histoire singulière, qui racontent des procédés de fabrication et des pans de société différents : standardisation industrielle, tradition artisanale ou simple bricolage. Ils sont observés avec un même regard, sans jugement de valeur, comme le réservoir de formes prêtes à servir.
Au travers de recherches internet, de déambulations et d’échanges avec les habitants, ces stocks sont mis au jour puis recensés. Suivant une logique de tuilage (évoquée par Jean-Christophe Bailly dans Le Dépaysement), un objet mène à un autre et alimente un inventaire au fil de l’itinérance.
Après leur recensement, certains éléments sont sélectionnés, combinés et assemblés en différentes structures afin de donner un aperçu des nombreuses possibilités d’assemblages à partir d’un stock disponible à réorganiser. Ces mises en tension de fragments divers font dialoguer des périodes historiques parfois éloignées et provoquent des rencontres inattendues, juxtaposition de formes et de techniques, toujours réversibles. Les ensembles constitués s’apparentent alors aux carottages d’un territoire construit, révélant diverses strates d’occupation, entre paysages génériques et « richesses » patrimoniales, mondialisation et traditions persistantes.
Du dessin à la construction, de l’imaginaire à la matière
Le travail mené à Vassivière débutera par des recherches dans les archives d’Aldo Rossi, afin de comprendre le corpus de référence utilisé dans la conception de l’édifice. Nous nous intéresserons à l’usage que l’architecte italien faisait de l’analogie : une extraction d’images historiques archétypales, empruntées à une tradition sélective, ayant comme finalité la constitution d’un langage formel universel[1] (le phare, la cabane de pêcheurs sur pilotis, l’aqueduc romain…).
Par le décryptage de ce langage, nous exposerons le lien ambigu que le centre d’art entretient avec son site et l’architecture vernaculaire régionale.
Dans un deuxième temps, nous essaierons de retracer et de comprendre la transposition de cet imaginaire formel dans la matière.
Par le biais de recherches dans les documents de travail et d’entretiens filmés, nous nous intéresserons à l’évolution du projet, des dessins poétiques de Rossi aux dessins d’exécution de Vincent Speller et Xavier Fabre, en d’autres termes, la traduction des idées projetées vers une réalité constructive.
Quels sont les matériaux constitutifs de cet édifice emblématique ? Que révèlent-ils sur son ancrage au paysage qui le contient ? Comment ont-ils été mis en œuvre ? Granit, brique, lamellé collé, profilés métalliques : une combinaison complexe de matières plus ou moins transformées – concrétisation des couleurs du dessin.
Une enquête visera à retrouver les artisans et entreprises impliqués dans le processus de construction pour recueillir leur récit. Nous essaierons de distinguer la provenance ainsi que les différents lieux qui ont rythmé le parcours des matériaux employés ; de raconter la transformation d’une ressource naturelle en un élément propre à bâtir ; de détailler le passage d’une matière brute à une forme façonnée.
Ces recherches généalogiques permettront de mesurer l’ampleur du territoire dans lequel le centre d’art s’inscrit.
La première partie du travail a donc comme finalité de décomposer la “mythologie” formelle rossienne afin de recomposer une autre “mythologie” basée sur le processus de construction du bâtiment et toutes les interactions générées dans le territoire. Elle fera l’objet d’un film conçu à partir de l’ensemble des informations et témoignages collectés.
Vers un langage constructif
À partir du langage constructif du Centre d’art, nous souhaiterions poursuivre l’expérimentation débutée il y a deux ans autour des “objets-ressources”.
Un travail de redessin des détails techniques permettra de comprendre comment les archétypes dessinés (arches en brique, Stoa de l’entrée, toit en carène retournée) ont été mis en œuvre. L’atlas graphique ainsi constitué sera le premier pas vers une autre interprétation de ce langage.
Par la suite, nous tenterons de répertorier et de collecter différents “objets ressources”, éléments de construction épars à réassembler, renvoyant aux différents lieux que les recherches auront permis de révéler (carrières de granit, briqueterie, scierie…). Il s’agira de dresser un inventaire des formes rencontrées, une statistique fragmentaire d’un “patrimoine” architectural en pièces détachées, reflet d’activités anthropiques tombées en désuétude.
Le temps de la résidence s’achèvera par une série d’installations, expérimentations à partir du langage constructif du centre d’art et des éléments-satellites mis au jour, dans le but de faire vibrer l’édifice à travers l’ensemble des lieux convoqués lors de sa construction.
Les structures mises en place dans ces lieux significatifs incarneront ainsi le questionnement sur l’adhérence de formes architecturales au territoire qui les contient.
Une dernière structure réalisée sur l’île de Vassivière prendra la forme d’une archive matérielle édifiée, perçue à la fois comme un témoin de l’histoire matérielle du bâtiment d’Aldo Rossi et Xavier Fabre et comme un inventaire des ressources disponibles dans le territoire : une restitution de nos recherches précédentes.
[1] « Des figures particulières sont utilisées non à cause des associations qu’elles suscitent dans un contexte particulier ou en relation avec des fonctions particulières, mais à cause de leur capacité de suggérer des archétypes — des archétypes considérés comme appartenant à la tradition autonome de l’architecture elle-même. » Alan Colquhoun « Forme et figure » (1977), publié dans Oppositions, 12 ; traduit en français, Recueil d’essais critiques : architecture moderne et changement historique, Bruxelles, Mardaga, 1981.
Le calendrier de la Résidence
1e session : du lundi 23 mai au lundi 20 juin 2022
2e session : du mercredi 13 juillet au mercredi 27 juillet 2022
Ce projet est mené par la MA Limousin et le Centre International d’Art et du Paysage – Île de Vassivière (CIAPV) avec le soutien de la Région Nouvelle Aquitaine, la DRAC Nouvelle Aquitaine, dans le cadre du dispositif 10 Résidences d’architecture en France 2022, porté par le Réseau des maisons de l’architecture avec le Conseil National de l’Ordre des Architectes et le Ministère de la Culture.